« Inside |Libre

La tête me tourne toujours autant quand je viens jusqu’ici.  J’aimerais qu’un jour, cela s’arrête. La foule n’est pas mon truc, mais je devrais un jour m’y habituer. Je préfère tant mes escapades avec les autres éclaireurs, toujours plus loin vers l’horizon ! Courir, courir, encore et toujours, aller plus loin sans jamais s’arrêter. Pourtant, c’est toujours grâce à eux que je reviens. Ou à cause ? Je pense qu’il serait aisé pour moi de survivre dans les plaines. Mais la solitude totale m’effraie. Alors je rentre au village. Et j’ai toujours cette amère frustration. Qu’est ce qui se trouve derrière l’horizon ?  Sommes nous les seuls, les derniers en ce bas monde ? Cela me semble impossible.

Je m’ébroue momentanément, manquant que me faire rentrer dedans par un homme chat sous forme humaine. A vrai dire, ici, ils sont tous sous forme humaine. Je gronde en baissant les oreilles, l’humain feule mais continue sa route. Je n’aime pas ces satanés bestiaux et je pense que je ne les aimerais jamais. Ancienne rivalité ? Sûrement.  Je reprends mon trottinement à travers la place. Le soleil brille fort, aujourd’hui, et je suis heureuse de pouvoir me réfugier sous mon épaisse fourrure. Je n’ai pas spécialement chaud, et ma peau humaine ne supporterait pas les rayons. Et je suis bien trop faible lorsque je suis humaine. Trop fragile. Je suis heureuse d’être différente sous ma forme animale. Solide, trapue, une véritable machine de guerre, comme tout prédateur qui se respecte.

Mes pas me guident jusqu’à un bar, situé en bord de place, pas loin de la mairie.  J’y ai mes habitudes et je sais que c’est le seul coin un peu tranquille. A vrai dire, le barman n’a pas l’air très commode. Un homme loup de près de 2m de haut, avec des bras plus larges que mes cuisses et un air profondément grognon. Mais adorable quand on le connait, et avec un grand sens de l’humour. Je vois la porte ouverte, comme d’habitude. Lorsque je rentre, j’entends le familier « gling gling » et un voix bourrue m’accueille :

« Blanche Comme un Cul, transforme-toi avant que je t’en colle une ! C’est pas un établissement pour les chiens ici ! »

Un sourire étire mes lèvres, tandis que je reprends forme humaine. Je suis déséquilibrée l’espace d’un instant, mais ma hauteur me permet de voir le loup sous sa forme humaine, plus loin, qui est avec un client.

« C’est comme ça que tu reçois les clients, toi ? »

J’aperçois un sourire sur ses lèvres, tandis qu’il se lève et vient m’étreindre. Je disparais presque entièrement sous ses bras musclés.

« Pense à prendre le soleil de temps en temps, on dirait un cadavre. »
« Tu sais bien que je ne peux pas.. »
« Je te mets la même chose que d’habitude ? »
« Ouaip, s’il te plait. »

Notre échange se termine là, tandis que je vais m’asseoir au bar, sur une chaise haute où j’ai un peu de mal à me hisser. L’homme me pose alors un verre sous le nez et je le remercie d’un mouvement de tête. Il repart ensuite à ses affaires et je reste là, à méditer en regardant le liquide transparent dans le verre. Je suis cependant rapidement tirée de mes pensées par l’arrivée de deux hommes dont je reconnais de suite l’odeur féline. Des hommes chats. Je me contrôle cependant. Je ne suis qu’une cliente parmi tant d’autres, si quelqu’un doit les virer, ce n’est pas à moi de le faire.

Perdue dans mes pensées, des paroles m’en tirèrent abruptement.

« Bien le bonjour. Vous aussi vous venez vous désaltérer ici ? »

Je tourne la tête vers la personne qui m’a adressé la parole. Je l’observe un instant, avant de le reconnaître ; il fait parti des éclaireurs. Je l’ai déjà vu partir, mais jamais dans la même direction que moi. Nous n’avons encore jamais couru ensemble. C’est un inconnu. Mais je ne dénote pas son salut, et avant que je n’ai le temps de lui répondre avec un sourire, un autre, bien plus vieux arrive en pestant contre les hommes chats. Je ne peux m’empêcher de sourire, je ne suis ainsi donc pas la seule à ne pas aimer ces deux types là. J’observe le vieil homme et reconnais un deux ceux qui sont sur la place, à vendre de la nourriture. Lui non plus, je ne lui ai jamais parlé, je passe de toute façon la plupart du temps sous ma forme de louve. Pas le meilleur moyen de communiquer, donc.


« Il semble en effet bien animé... On ferait mieux de les laisser dans leur coin : ils n'en valent pas la peine. »

Les deux hommes se mettent à boire une sorte de bière, si j’en crois mon odorat.  Je n’aime pas cela. Je me suis bien plus habituée à une nouvelle boisson, faite avec des plantes de la nouvelle région. Je m’y suis rapidement accommodée, mais pas au point d’en devenir accro. La main dessinant sur mon verre, je me lance finalement à parler, après un rapide coup d’œil au liquide qui trône devant moi :

« Je n’ai pas eu le temps de te saluer.. J’en suis désolée. Bonjour, donc –je ponctue mes mots d’un sourire, en lui lançant un regard chaleureux-. Oui, je viens souvent, c’est un peu mon refuge. Et toi ? »

Je prends le risque de le tutoyer pour réduire la distance qu’il a installé entre nous. Après tout, nous faisons le même travail, et je le pense mon égal. J’ai plus besoin de personnes envers qui je peux avoir confiance et me sentir comme une seconde famille plutôt que des gens à respecter. Après tout, en tant qu’éclaireurs, nous pouvons faire face à des dangers parfois très périlleux. Et à mes cotés, pour défendre mes arrières, je préfère avoir un ami plutôt qu’un ennemi qui me réduira un charpie s’il en a l’occasion. En tant que loup, après tout, ne sommes nous pas quelque part tous frères et sœurs ?